UNE FEMME INGÉNIEURE FACILITE L’ACCÈS AUX EAUX SOUTERRAINES EN ZAMBIE

Posté le : 16 octobre 2020

L’ingénieure Beatrice Kanyamuna-Pole, hydrogéologue principale dans le département chargé de l’exploitation des ressources en eau, en Zambie, raconte son parcours, en tant que femme, dans ce secteur. Elle partage avec nous son expérience alors qu’elle est la seule femme ingénieure à travailler sur le terrain dans le cadre du projet de cartographie des eaux souterraines et de développement des champs de captage dans la commune de Chongwe, située à 125 km à l’est de la capitale Lusaka.

Le projet pilote de Chongwe s’inscrit dans le programme de gestion durable des eaux souterraines dans les États membres de la SADC, mis en œuvre par la SADC-GMI et financé par la Coopération pour les eaux internationales en Afrique (CIWA) et le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) par l’intermédiaire de la Banque mondiale.

Parlez-nous de vous

Benjamine d’une famille de trois filles, je suis née dans le village d’Inongé, dans la localité de Kazungula au sud de la Zambie. Nous avons grandi en comprenant à quel point l’eau était essentielle à notre survie et notre bien-être. Dès notre plus jeune âge, nous devions marcher un kilomètre pour aller chercher de l’eau dans la rivière Ngwezi, et durant la saison sèche, la rivière étant en sec, nous nous rendions jusqu’au village voisin, à cinq kilomètres, pour tirer de l’eau à la pompe manuelle la plus proche. Nous ne nous lavions qu’une fois par jour, le soir, avant de nous coucher afin d’économiser l’eau.

Enfant, j’admirai la nature et les environs de mon village et je rivalisai avec les garçons pour être la meilleure. Cet esprit de compétition m’a poussé à choisir la géographie pendant mes études de premier cycle. J’ai commencé à enseigner à la fin de mes études, mais cette profession ne répondait pas à mes aspirations.

J’ai donc fait un pari sur l’avenir et j’ai accepté le poste de responsable de l’eau pour le district de Kafue dans le cadre d’un transfert ministériel. J’étais intéressée par le travail des ingénieurs qui concevaient des infrastructures afin de répondre à la demande croissante en eau. Ayant vécu, enfant et jeune adulte, les difficultés inhérentes à la collecte de l’eau, j’ai décidé de faire carrière dans ce secteur. J’ai repris mes études et obtenu un diplôme de troisième cycle en gestion intégrée des ressources en eau et de l’environnement en Suède (Integrated Environnement and Water Management — IEWM) puis un diplôme de troisième cycle en Gestion intégrée des ressources en eau (Integrated Water Resources Management — IWRM) à l’université de Zambie.

Forte de mon expérience personnelle, j’ai décidé de travailler dans le domaine des eaux souterraines afin de relever les défis auxquels font face les populations vivant dans les zones rurales de Zambie. Ma détermination m’a permis d’obtenir une bourse afin d’étudier en Allemagne et de décrocher, en 2013, une maîtrise en Hydrogéologie, en génie géologique et en gestion de l’environnement.

Quelle est la situation hydrique en Zambie ? Comment le pays gère-t-il la pénurie d’eau ?

La Zambie est confrontée à deux situations extrêmes : alors que le nord du pays est marqué par les inondations, le sud doit faire face à des épisodes de sécheresse intense. Nous luttons contre la pénurie en forant des puits et en récoltant l’eau de pluie au moyen d’ouvrages hydrauliques, tels que des barrages, des seuils d’épandage, des toits/gouttières, etc.

Les eaux souterraines constituent une source essentielle d’approvisionnement en eau, particulièrement dans le sud de la Zambie en proie à de longues périodes de sécheresse. Ces eaux, qui échappent souvent à toute mesure ou gestion, doivent être gérées de manière responsable afin de préserver les niveaux et la qualité de la nappe phréatique. À l’heure actuelle, l’absence d’infrastructures dans ce domaine entrave sérieusement l’accès à l’eau.

Pour quelles raisons le gouvernement zambien a-t-il choisi Chongwe ? En quoi ce projet était-il nécessaire ?

La commune de Chongwe qui abritait 12 160 habitants en 2010 s’est développée très rapidement et compte 100 000 habitants en 2020. Cette croissance démographique s’est traduite par une demande plus importante en eau pour faire face aux divers besoins socioéconomiques.

La croissance démographique a fait apparaître un écart important entre la demande en eau et les ressources disponibles. Ces dernières années, la ville a dû faire face à un déficit hydrique récurrent imputable au faible débit de la rivière Chongwe, victime des effets du changement climatique sur le régime hydrologique et la variabilité de l’eau.

En outre, le niveau du déversoir (ou barrage de faible hauteur), principale source d’approvisionnement en eau de Chongwe, baisse de plus en plus régulièrement et sur une durée plus longue et ce dernier n’est pas en mesure de répondre à la croissance de la demande en eau. Il était donc nécessaire de trouver une source d’approvisionnement supplémentaire, et voilà pourquoi le choix s’est porté sur Chongwe.

Le Secrétariat de la SADC, par l’intermédiaire de la SADC-GMI et avec le soutien financier de CIWA et du FEM a lancé ce projet pilote afin d’approvisionner la communauté en eaux souterraines. Le financement de CIWA a contribué à l’aménagement du champ de captage.

Le projet s’achève en pleine pandémie de COVID-19. Quel a été l’effet de la pandémie sur la mise en œuvre du projet si l’on considère l’importance accordée au lavage des mains pendant la crise sanitaire ?

La COVID-19 a entraîné le confinement partiel du pays, et la mise en œuvre du projet a du être suspendue. Nous avons toutefois repris le travail en suivant des protocoles sanitaires stricts, afin de limiter les retards par rapport au calendrier du projet.

La pandémie a permis d’améliorer les niveaux d’hygiène de la communauté qui est consciente de l’importance du respect des gestes sanitaires et demande un approvisionnement en eau propre et salubre. L’accès à l’eau potable améliorera de manière significative la capacité de la communauté à gérer la pandémie.

Dans quelle mesure le projet a-t-il bénéficié à la communauté et aux pouvoirs publics ?

Les bénéfices du projet ont été multiples — sa mise en œuvre a permis de créer des emplois pour la communauté locale (à proximité du champ de captage), qui pourra tirer parti à terme des plantations choisies pour protéger l’environnement ainsi que d’une source d’alimentation régulière en eau courante.

Une fois terminé, le projet aura permis à la ville de Chongwe d’augmenter le nombre d’heures d’approvisionnement en eau quotidienne, ce qui bénéficiera directement à ses 100 000 habitants.

Comment le projet a-t-il pris en compte la question de l’égalité des sexes et de l’inclusion sociale ?

Ce projet montre la voie à suivre en faisant participer les femmes aux différents stades de sa mise en œuvre.

Majory Mwale (Assistante ingénieur) et moi-même, en tant qu’hydrogéologue principale, avons été impliquées dans la planification et la mise en œuvre de cet important projet. Le projet a encouragé la participation des habitantes de Chongwe en soutenant la formation du comité villageois de l’eau chargé de répondre à leurs besoins et préoccupations.

Le programme de gestion durable des eaux souterraines de Zambie dans lequel s’inscrit ce projet met l’accent sur l’égalité de genre et l’inclusion sociale dans le cadre d’activités de formation continue organisées par la SADC-GMI. J’ai eu la chance de participer à différents programmes de formation tels que : Integration of Groundwater into River Basin Organizations in Africa (intégration de la gestion des eaux souterraines dans les organismes de bassins fluviaux en Afrique) organisé à Lusaka en 2018, « Préparer des propositions pour accéder au financement de projets liés aux eaux souterraines » (en 2020) et Borehole Forensics (Forages scientifiques) à Blantyre (Malawi) etc. La SADC-GMI a également soutenu ma participation et celles d’autres jeunes experts au Symposium WaterNet organisé en 2018.

Selon vous, de quelle manière les femmes participent-elles à la résolution des questions relatives aux ressources en eau ? Pourriez-vous nous donner quelques exemples concernant Chongwe ?

Je remarque que la proportion de femmes qui participent à la résolution de ces questions aux niveaux international, continental, régional et national reste faible, par rapport aux hommes, mais qu’elle progresse doucement. Selon moi, les choix opérés par les femmes au moment de leurs études, puis de leur carrière expliquent leur faible participation dans un secteur qui reste perçu comme technique et qui considère que le rôle des femmes se situe davantage au niveau de la consommation qu’à celui de la planification ou du développement.

Nous avons besoin de plus de personnes sur lesquelles prendre modèle afin d’encourager les femmes à exercer dans ce domaine et plus particulièrement sur le terrain. Il importe de mettre en place des politiques publiques favorisant l’égalité des sexes afin d’encourager davantage de femmes à acquérir les compétences nécessaires pour travailler dans ce secteur.

En combinaison avec cela, les programmes liés à l'eau devraient inclure le genre et l'inclusion sociale dans la conception et la mise en œuvre.

Si je regarde le projet de Chongwe par exemple, les femmes sont les premières victimes des pénuries d’eau dans la communauté. Le leadership de Son Altesse Royale, Cheffe senior Mukamambo ll, et ses efforts incessants our améliorer l’approvisionnement en eau et la situation des habitants de Chongwe ont toutefois porté leurs fruits.

À quelles difficultés avez-vous été confrontée, en tant que femme, dans le secteur de l’eau, et comment les avez-vous surmontées ?

Les femmes qui travaillent dans ce secteur luttent pour faire valoir certains principes fondamentaux, comme celui de faire entendre leur voix. Je me sens parfois mise de côté par les hommes, qui doutent de mon efficacité et de mon éthique professionnelle. Nous avons parfois des désaccords parce que je sais que j’ai les connaissances et l’expérience requises pour ce travail. Ma persévérance me permet toujours de surmonter ces difficultés.

Comme mon travail consiste à superviser des hommes sur le terrain que ce soit pour le choix des sites, le forage, les essais de pompage ou les activités d’installations, il m’a fallu instaurer un esprit d’équipe en partageant des moments de convivialité avec eux après les heures de travail. En tant que femme, je repousse les limites et les objectifs à atteindre, car beaucoup reste à faire si on souhaite rendre ce secteur plus attractifs aux femmes.

Selon vous, que devrait-on faire pour faciliter la participation des femmes ?

Il faudrait concevoir un programme d’enseignement spécialisé et mettre l’accent sur l’importance de l’eau afin de susciter l’intérêt des étudiants. De plus, des sessions de mentorat avec des femmes emblématiques encourageraient fortement les filles à poursuivre leurs études dans ce secteur.

Nous devons également concevoir des programmes spécifiques avec les ministères chargés de l’éducation afin d’encourager les femmes à exercer dans ce secteur, qui présente des caractéristiques techniques et socio-économiques, en leur accordant des bourses pour poursuivre des études supérieures.

Note : La dernière jonction entre le champ de captage et la conduite n’est pas terminée suite aux retards enregistrés à cause de la pandémie COVID-19.

© | Cooperation in International Waters in Africa
fr_FR