Eaux transfrontalières : pourquoi il faut coopérer davantage, et dès maintenant

Posté le : 22 mars 2024

Pêcheurs sur un affluent du fleuve Sénégal, qui traverse la Guinée, le Mali, la Mauritanie et le Sénégal en Afrique de l’Ouest. Crédit photo : Sarah Farhat/Banque mondiale.

C’est avec un double sentiment d’inquiétude et d’espoir que nous abordons cette Journée mondiale de l’eau, dont le thème cette année est « L’eau pour la paix ». Inquiétude, car la pression sur nos ressources en eau douce s’intensifie sous l’effet des dérèglements du climat, de la montée des fragilités et de la dégradation des écosystèmes. Mais espoir, aussi, alors que la communauté internationale unit ses forces pour soutenir les pays et les organismes intergouvernementaux engagés dans des efforts de gestion commune, avec le lancement de partenariats tels que le Mécanisme mondial de coopération (a) et la Coalition pour la coopération dans le domaine des eaux transfrontières (a). Ces initiatives viennent s’ajouter à la Convention sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontières et des lacs internationaux (la « Convention sur l’eau ») ou à la tenue de grands rendez-vous comme le Forum mondial sur la coopération dans le domaine des eaux transfrontalières pour le climat et le développement, organisé en juillet 2023. Soit autant de pas qui témoignent de la force des partenariats pour la promotion de la coopération sur les ressources hydriques. On le sait bien, l’eau est indispensable à la vie sur Terre, et la gestion des ressources en eau est une condition essentielle au bien-être des sociétés humaines. Mais l’eau peut être également une source de tensions et de conflits, en particulier dans les régions où la ressource est rare ou son partage objet de discordes. Avec l’accroissement démographique et l’impact grandissant du changement climatique sur les ressources hydriques, les risques de conflit sont voués à augmenter aussi. L’existence d’institutions et de mécanismes qui peuvent permettre, par le dialogue et la coopération, de gérer les conflits, limiter le recours à des arbitrages difficiles et maximiser les bénéfices de ressources partagées est donc fondamentale pour la paix et le développement. Or, jusqu’à présent, seuls 24 pays disposent d’accords opérationnels de coopération qui couvrent la totalité de leurs bassins hydrographiques partagés avec des pays voisins. C’est ce que révèle le deuxième exercice de suivi de l’indicateur 6.5.2 des ODD, réalisé par la Commission économique des Nations Unies pour l’Europe (CEE-ONU) et l’UNESCO. Les progrès sont encore plus lents en ce qui concerne la coopération relative aux aquifères transfrontières, puisqu’on ne compte que huit accords de ce type dans le monde. Au vu de l’insuffisance des mécanismes régissant les eaux transfrontières et de l’ampleur des difficultés auxquelles sont confrontées les populations riveraines et au-delà, il est indispensable que la communauté internationale augmente considérablement son soutien aux efforts de gestion des eaux partagées. Cela est d’autant plus vrai aujourd’hui que l’eau pourrait constituer un puissant catalyseur de dialogue et de coopération.

Vers plus de coopération

En s’associant pour améliorer la gestion de leurs eaux partagées — lacs, aquifères ou cours d’eau —, les États développent un climat de confiance, des cadres de collaboration et plus largement des bénéfices mutuels qui contribuent à la paix et à la stabilité. Cela s’explique en partie par le fait que cette gestion commune des ressources implique la collecte et l’échange de données, la prise de décision conjointe et la répartition équitable de l’eau. Ces processus de coopération peuvent aider les diverses parties à s’attaquer aux causes profondes des conflits autour de l’eau et à trouver des solutions acceptables pour tous. Ils génèrent également un plus grand nombre de bénéfices sociaux et économiques par rapport à ce que les pays seraient en mesure de produire s’ils géraient cette précieuse ressource de manière unilatérale. L’expérience mondiale montre en effet que la coopération sur les eaux transfrontalières accroît la variété et l’ampleur des bénéfices — la taille du « gâteau » — que les pays peuvent tirer d’une gestion durable des ressources hydriques. La CEE-ONU et le programme de Coopération dans les eaux internationales en Afrique (CIWA) de la Banque mondiale appuient actuellement l’élaboration d’accords pour la gestion du bassin aquifère sénégalo-mauritanien, au Sahel occidental. Les enseignements tirés de cette initiative peuvent être appliqués à d’autres systèmes aquifères transfrontaliers dans le monde. La coopération dans le domaine de l’eau s’étend plus largement au développement, dans la mesure où elle met en place des cadres et des institutions intergouvernementales qui créent un environnement porteur. Les « organismes de bassin » en sont le meilleur exemple : chargés de gérer les ressources de bassins hydrographiques partagés par plusieurs pays, ils aident les États concernés à définir des visions communes et réaliser des investissements conjoints. Selon le bilan dressé dans le cadre de la Convention sur l’eau, la centaine d’accords conclus ont permis d’améliorer la prévisibilité des ressources hydriques, de réduire les pertes dues aux inondations et aux sécheresses, ou encore de renforcer les secteurs de l’agriculture et de l’énergie. Ces accords améliorent les moyens de subsistance et réduisent la pauvreté dans les communautés riveraines, mais aussi au-delà. Et ces résultats positifs peuvent atténuer des facteurs socioéconomiques qui contribuent à la fragilité et aux conflits.

Des progrès en Afrique et ailleurs

Le projet hydroélectrique régional des chutes de Rusumo, qui vient de s’achever, bénéficiera aux populations du Burundi, du Rwanda et de Tanzanie. Il a vu le jour après plus d’une décennie de concertations menées par l’Initiative du Bassin du Nil et son antenne technique, le Programme d’action subsidiaire des lacs équatoriaux du Nil. De même, la Banque mondiale œuvre aux côtés de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) depuis deux décennies, et cette collaboration a facilité l’intégration de la Guinée — pays dans lequel le fleuve prend sa source —, le partage de l’information, l’élaboration d’un plan directeur et la définition d’une formule de partage des coûts. Néanmoins, il reste encore beaucoup à faire. À cet égard, la « mondialisation » de la Convention sur l’eau est un signal prometteur. En effet, depuis 2016 et l’ouverture de la Convention à tout État membre des Nations Unies, 11 pays d’Afrique, d’Amérique latine et du Moyen-Orient y ont adhéré (dont cinq pour la seule année 2023) et une vingtaine de plus sont en passe de le faire. Placée sous l’administration de la CEE-ONU, la Convention sur l’eau a permis de renforcer la coopération entre États riverains tant sur le plan politique que technique. Elle a notamment soutenu l’adoption, en 2017, d’un cadre de prévention des conflits liés au partage des ressources en eau au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. En adhérant à la Convention sur l’eau, les pays manifestent leur volonté de coopération et reçoivent de l’aide pour définir leurs priorités et établir une feuille de route à cette fin. Ces efforts sont en outre promus par la Coalition pour la coopération dans le domaine des eaux transfrontières (a), un partenariat rassemblant un large éventail de parties prenantes — États, organisations intergouvernementales, organisations d’intégration régionale, institutions financières internationales, établissements de recherche et ONG — avec l’objectif de mieux promouvoir, à l’horizon 2030, les enjeux de cette coopération à tous les niveaux. En tirant parti des atouts comparatifs de chacun de ses membres, cette coalition ouvre la voie à une action coordonnée pour faire face aux multiples crises qui touchent le secteur de l’eau.

Une Journée mondiale de l’eau placée sous le signe de la paix

Cette Journée mondiale de l’eau est particulièrement importante pour nous, car elle nous invite à repenser la manière dont nous soutenons la coopération sur les eaux transfrontalières. Notre expérience collective montre qu’en unissant nos forces pour fournir un soutien stratégique aux pays et aux organismes de bassin, les retombées obtenues sont bien plus élevées. En ces temps de crises mondiales complexes, le monde a besoin d’une action mieux coordonnée et de financements en faveur des biens publics. La coopération pacifique et efficace pour la mise en valeur des ressources hydriques partagées en fait partie, et elle devrait être financée à la hauteur de son importance. La Banque mondiale et la CEE-ONU continueront d’œuvrer ensemble pour exploiter tout le potentiel de l’eau au service de la paix et de la stabilité, en particulier dans les zones fragiles et touchées par des conflits. Face à la montée des défis climatiques et à des pénuries d’eau croissantes, la coopération dans ce domaine est appelée à jouer un rôle de plus en plus important dans la consolidation de la paix. En reconnaissant que l’eau est à la fois un instrument de paix et un moteur de croissance et de prospérité, nous contribuerons à apporter de la stabilité dans un monde en pleine tourmente.
© | Cooperation in International Waters in Africa
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