DES JEUNES FEMMES PRENNENT EN MAIN LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU DE L’AFRIQUE

Posté le : 9 août 2020

Amna Omer, Coordinatrice pour le programme au Bureau technique régional du Nil oriental.

La journée internationale de la jeunesse 2020, est l’occasion pour la Coopération pour les eaux internationales en Afrique (CIWA) de rendre hommage aux jeunes femmes du secteur hydrique africain qui contribuent à l’amélioration de la gestion des ressources en eau.

Amna Omer se demandait pourquoi la population soudanaise souffrait des conséquences du stress hydrique malgré l’abondance des ressources en eau de son pays. Elle a décidé en grandissant de résoudre les défis posés par la gestion de l’eau en se spécialisant dans ce secteur. Aujourd’hui, Amna travaille comme coordinatrice pour le programme du Bureau technique régional du Nil oriental (ENTRO) et est convaincu que le programme de stage d’ENTRO constitue une occasion unique pour les jeunes de gagner de l’expérience. La Coopération pour les eaux internationales en Afrique (CIWA) et ses partenaires soutiennent l’initiative et encouragent les jeunes talents à travailler dans le secteur de l’eau, à concevoir des approches novatrices et à développer des partenariats régionaux pour relever les enjeux portant sur la gestion des eaux transfrontières.

Parlez-nous de vous

J’ai 28 ans et je viens du Soudan. Je suis titulaire d’une licence en génie civil de l’université de Khartoum et d’une maîtrise en gestion intégrée des ressources en eau de l’université des sciences appliquées de Cologne (Allemagne).

Racontez-nous votre parcours avec ENTRO

L’eau me passionne depuis mon plus jeune âge. Chaque fois que je voyais le Nil, je me demandais pourquoi nous manquions tous d’eau, alors que nos ressources étaient abondantes.

Cette question m’a amené à examiner les causes profondes du problème et j’ai décidé de me spécialiser dans la gestion des ressources hydriques. La Sudan Engineering Society (association des ingénieurs soudanais) a décerné le prix d’excellence au projet de fin d’études que j’ai réalisé avec deux camarades de promotion.

Ce prix nous a permis de présenter notre projet à l’occasion du premier atelier consacré au modèle de planification du Nil oriental qui s’est tenu au Soudan en 2012. J’ai appris l’existence d’ENTRO et de son programme de stage lors de cet atelier. Comme il correspondait à mes aspirations professionnelles, j’ai postulé et j’ai rejoint la deuxième promotion de stagiaires du programme NCORE (Nile Cooperation for Results Project) qui encourage une coopération propice à l’obtention de résultats.

Ce stage a été l’occasion de me former auprès de professionnels chevronnés et de mieux cibler mes objectifs de carrière. J’ai travaillé avec des stagiaires venant d’Égypte, d’Éthiopie et du Soudan du Sud à la conception de modèles agricoles pour le sous-bassin du Nil oriental.

À la suite de ce stage, j’ai poursuivi mes études en Allemagne puis, après avoir obtenu mon diplôme, j’ai décidé de retourner travailler au centre de recherche sur l’eau de l’université de Khartoum (Water Research Center). ENTRO cherchait alors un coordinateur : j’ai postulé et obtenu le poste.

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’origine du programme de stage d’ENTRO

Le programme de stage a été mis en place en 2011, au moment où ENTRO travaillait avec la Banque mondiale à la modification des modalités de mise en œuvre du projet ENPM (Eastern Nile Planning Model) portant sur le modèle de planification du Nil oriental. Cela a permis à ENTRO de travailler plus facilement avec les pays en forgeant des partenariats avec les communautés scientifiques (universités du Nil oriental) malgré les difficultés posées par les différences politiques existantes entre les pays membres.

Le programme de stages, mis en place dans le cadre du projet ENPM, a non seulement renforcé les capacités internes d’ENTRO mais aussi donné à ce dernier et aux milieux universitaires accès de multiples compétences et de nombreuses occasions de coopération.

Les retombées positives du programme ont encouragé les pays du Nil oriental à poursuivre cette initiative dans le cadre du programme NCORE et à élargir certaines de ces activités à l’échelle du bassin. Le programme accueille ainsi aujourd’hui les jeunes experts qui mettent à profit leurs compétences dans le secteur privé, d’autres ministères, la société civile, etc. Le programme dépasse donc ainsi le seul cadre universitaire.

Près de 180 stagiaires ont participé au programme d'ENTRO qui leur a permis d'acquérir de nouvelles compétences, de forger de nouveaux circuits de collaboration régionale et de contribuer au développement de perspectives multisectorielles.

Quel est l’objectif de ce programme ? Combien de stagiaires ont participé à ce programme à ce jour ?

Au départ, le programme visait principalement à encourager la coopération dans le Nil oriental en constituant une communauté de jeunes spécialistes pouvant parvenir à une vision commune des ressources – des possibilités qu’elles offrent, des risques auxquels elles sont exposées et de leur évolution future.

Aujourd’hui, le programme entend appuyer une nouvelle génération de spécialistes et de dirigeants dans le domaine de l’eau pour leur permettre d’acquérir de nouvelles compétences, d’établir de nouvelles collaborations régionales et de contribuer à de nouvelles approches multisectorielles afin de renforcer les services d’analyses et de promotion du savoir d’ENTRO.

Quelles sont les différentes catégories de stages du programme ?

Les stagiaires ont conçu de nombreux produits d’information qui contribuent aux projets mis en œuvre par ENTRO dans plus de 50 domaines grâce à la mise au point d’outils d’analyse, de boites à outils, de modèles, de données, d’analyses et de rapports. Le programme d’ENTRO propose actuellement trois catégories de stage :

Les stages de la première catégorie réunissent principalement des jeunes originaires des pays du bassin du Nil oriental afin qu’ils collaborent, dans différents domaines à la recherche de solutions aux problèmes liés à l’eau et à sa gestion au niveau du bassin. Les stagiaires doivent travailler à la conception de nouveaux outils d’analyse ou produits d’information utiles aux projets d’ENTRO.

Les stages de la deuxième catégorie regroupent de jeunes experts dotés d’une certaine expérience qui sont invités à combler des carences au niveau des compétences à ENTRO en les affectant à certaines tâches. Ces jeunes experts contribuent au développement et au renforcement des savoirs et des outils d’analyse d’ENTRO et ce faisant renforcent leurs propres capacités, acquièrent des connaissances sur le bassin, de nouvelles compétences et une expérience en matière de gestion des ressources en eau et autres questions liées au développement du bassin du Nil oriental.

Les stages de la troisième catégorie donnent lieu au recrutement périodique de jeunes experts pour des activités de prévision et de gestion des crues du Nil oriental. Lancé par ENTRO, ce type de recrutement s’inscrit dans le cadre du renforcement de la coopération régionale et s’est poursuivi durant les huit dernières saisons des crues. L’initiative a permis de mettre en place un système fiable permettant à de nombreux acteurs de collaborer à la lutte contre les crues et à la réduction des dégâts qu’elles entrainent. ENTRO fait appel à de jeunes experts qui possèdent une expérience en matière de prévision des crues ou de systèmes d’alerte précoce.

Pourquoi pensez-vous qu’un tel programme de stages est nécessaire au renforcement de la coopération ?

Les programmes de stage ne sont pas nouveaux, mais cette démarche est unique dans la région du Nil oriental puisqu’elle permet à de jeunes gens originaires de différents pays du bassin du Nil d’échanger leurs points de vues et leurs connaissances et d’apprendre auprès de professionnels chevronnés.

Le programme de stage a eu un effet catalyseur et permis de dissiper certaines des idées erronées qui circulent sur les ressources en eau du Nil oriental et qui contribuent aux tensions entre les pays de la région.

Ce programme a joué un rôle déterminant en maintenant la collaboration et le partenariat dont le Nil oriental fait l’objet, en particulier parmi les spécialistes du secteur de l’eau, et en neutralisant ou atténuant les effets négatifs de l’hydropolitique. Il a aidé ENTRO à créer un environnement porteur dans lequel les professionnels, les universitaires et les praticiens collaborent à la recherche de solutions aux problèmes communs du bassin et à la mise en place de partenariats productifs.

Cette initiative a aidé à trouver un terrain d’entente, à concevoir les outils de savoir innovants, à améliorer les connaissances dans le domaine public, à encourager des amitiés durables et des partenariats professionnels.

Il prépare surtout la prochaine génération de professionnels et de décideurs du secteur à adopter une conception commune du bassin, condition essentielle au renforcement de la résilience du bassin face au changement climatique.

Le programme ENTRO prépare la prochaine génération de professionnels de l’eau et de décideurs à développer une perspective de bassin, renforçant ainsi la résilience du bassin au changement climatique.

Selon vous, quel est l’intérêt de cibler les jeunes pour ce programme ?

Le Nil oriental, contrairement à d’autres sous-bassins, est confronté de longue date à certains problèmes qui évoluent et auxquels il convient d’apporter des solutions nouvelles. Il est essentiel de tendre la main à la nouvelle génération de professionnels pour dépasser les conflits intergénérationnels et entrer dans une nouvelle ère de coopération.

Les jeunes peuvent chercher de nouvelles solutions innovantes et devenir les futures spécialistes qui s’appuieront sur des données scientifiques pour prendre des décisions dans la région du Nil oriental.

Dans quelle mesure le programme favorise-t-il l’égalité entre les sexes ?

En tant que professionnelle du secteur hydrique, je constate la faible représentation des femmes qui s’explique principalement par l’absence de perspectives dans ce secteur. Le programme de stage a adopté une approche rigoureuse en ce qui concerne l’égalité homme-femme et ces dernières sont fortement encouragées à postuler.

La chance qui m’a été offerte il y a sept ans de participer à ce programme, alors que j’étais jeune encore, a changé ma vie et m’a aidé à mieux orienter ma carrière. Je sais ce que je veux faire aujourd’hui et ce que je voudrais faire demain. L’Initiative du bassin du Nil me donne la possibilité de travailler aux côtés de spécialistes et de politiciens afin de changer l’idée selon laquelle les femmes ne peuvent pas occuper des postes à responsabilités dans le secteur de l’eau. 

Au cours des trois dernières années, j’ai encadré plus de 50 jeunes chefs de file dans plus de 20 domaines différents de ce secteur. J’ai tout mis en œuvre pour veiller à ce que ces stagiaires surmontent les barrières culturelles, régionales, sexistes, sociales et politiques et travaillent ensemble, en tant que citoyens du Nil, afin d’intégrer pleinement une perspective à l’échelle du bassin.

En dehors de mes activités à ENTRO, je travaille comme bénévole et j’ai mis en place une initiative – Sudan Youth Parliament for Water, le parlement soudanais de la jeunesse pour l’eau qui compte plus de 1 500 membres. Je suis l’une des co-fondatrices de Young Water Solutions, une organisation internationale qui aide les jeunes à concevoir et mettre en œuvre des projets dans le domaine de l’eau.

« La chance qui m’a été offerte il y a sept ans de participer à ce programme, alors que j’étais jeune encore, a changé ma vie et m’a aidé à mieux orienter ma carrière. » Amna Omer,

Quel est l’avenir de ce programme ?

Je pense qu’il est essentiel que la Coopération pour les eaux internationales en Afrique (CIWA) continue d’appuyer ce programme afin d’attirer de jeunes acteurs du changement dans le secteur de l’eau. Il sera ainsi possible d’assurer la contribution des éléments les plus brillants et les plus déterminés, privilégiant les données et la science, aux efforts menés pour relever les enjeux stratégiques dans le bassin.

Bien qu’ENTRO accorde la priorité aux aspects techniques du secteur de l’eau, réaliser des études conjointes de faisabilité, des projets d’investissement et porter son attention sur de nouveaux domaines comme la gouvernance de l’eau, les politiques de l’eau et la diplomatie de l’eau permettra de résoudre les problèmes persistants dont souffre la coopération du Nil. Il convient d’intégrer une nouvelle catégorie dans le programme de stage pour tenir compte de ces aspects. ENTRO a décidé d’élargir le programme en faisant participer des stagiaires à des études menées conjointement avec d’autres institutions afin d’encourager l’élaboration de politiques tournées vers l’avenir.

Le programme de stage a permis de créer un réseau de jeunes spécialistes des ressources en eaux qui peuvent faire évoluer les perspectives d’avenir. Il importe d’élargir ce réseau pour développer des écosystèmes favorables aux jeunes dans le secteur de l’eau, et ce faisant, assurer la poursuite du dialogue et des interactions entre États riverains.

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