Vers un monde plus égalitaire dans la gestion des eaux transfrontalières en Afrique subsaharienne

Posté le : 8 mars 2023

À l’occasion de la Journée internationale des femmes aujourd’hui, 8 mars, j’aimerais que nous nous intéressions aux rôles dévolus aux femmes et aux hommes par la société en Afrique subsaharienne en ce qui concerne l’utilisation, l’accès et la gestion de l’eau, et que nous envisagions des moyens de les faire évoluer afin de parvenir à une situation plus équitable pour les femmes et les autres populations vulnérables.

De nombreux efforts ont été déployés au cours des deux dernières années par les équipes du programme de Coopération pour les eaux internationales en Afrique (CIWA) et moi-même, en qualité de spécialiste principale des questions de parité femmes-hommes et d’inclusion sociale (GESI). L’objectif était de renforcer l’importance accordée par le programme à ces questions. À mon arrivée, j’ai dirigé l’élaboration du cadre adopté par CIWA pour la promotion de la parité femmes-hommes et l’inclusion sociale, première étape essentielle permettant de définir la stratégie du programme dans ce domaine. Pensé pour favoriser l’évolution des rapports entre les hommes et les femmes, ce cadre incite les parties prenantes de CIWA à dépasser les démarches traditionnelles qui assimilent les femmes africaines à des utilisatrices d’eau, et à abandonner les solutions simplistes, ponctuelles et quantitatives, pour lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes.

Il nous faut être plus ambitieux si nous voulons nous attaquer aux causes profondes de l’inégalité des genres et que les femmes puissent évoluer dans un environnement qui leur donne la possibilité de s’exprimer et de jouer un rôle. Cela suppose l’adoption de démarches intersectorielles, mises en œuvre à différents niveaux et de manière répétée, pour promouvoir la parité femmes-hommes. Pour produire des effets durables, il faut également cesser d’allouer à court terme des financements insuffisants à ces questions.

Mettre fin à l’inégalité d’accès aux eaux souterraines entre les hommes et les femmes

Compte tenu du peu de documentation consacrée aux questions de parité femmes-hommes dans le domaine de la gestion des eaux transfrontalières, j’ai préparé, en collaboration avec des collègues de CIWA, une série de notes d’apprentissage (en anglais) sur les leçons tirées de la mise en œuvre d’une approche sexospécifique, dont l’une porte sur l’Initiative du bassin du Nil. De manière générale, les efforts déployés par les équipes de CIWA pour promouvoir la parité femmes-hommes sont encourageants. Elles ont notamment pris des mesures concrètes pour intégrer la dimension de genre dans la conception de leurs programmes. Il m’a semblé utile, compte tenu des nombreux projets menés par CIWA dans le domaine de la gestion des eaux souterraines, de présenter certaines des stratégies utilisées dans la phase de planification pour lutter contre les inégalités de genre liées aux eaux souterraines, ressource qui apparaît de plus en plus indispensable au maintien des moyens de subsistance des populations africaines. Les ressources en eau souterraine jouent un rôle important pour le développement social et économique des pays d’Afrique subsaharienne, mais nombre d’entre eux doivent veiller à ce que ces ressources soient gérées de manière équitable pour permettre aux femmes et aux hommes d’en tirer des avantages sans en compromettre la pérennité.

Ouvrir la voie à la formation d’un plus grand nombre de femmes hydrogéologues

Ma qualité de spécialiste des questions de parité femmes-hommes dans le cadre de l’Initiative sur les eaux souterraines au Sahel m’a permis de jouer un rôle essentiel dans l’intégration de ces questions dans les différentes composantes de l’initiative. J’ai également veillé à ce que les membres de l’équipe comprennent bien la dimension sexospécifique de l’initiative. Dès le début, j’ai été heureuse d’apprendre que l’équipe du projet était déterminée à faire preuve d’audace en considérant le problème de la parité comme une question à part entière. Pour cela, nous avons trouvé des moyens de plaider pour la cause des femmes en leur accordant autant d’importance qu’aux hommes dans les efforts déployés par l’initiative pour former un noyau d’hydrogéologues locaux. Cette initiative étant mise en œuvre dans l’une des régions les plus inégalitaires au monde, trouver des moyens de former des femmes hydrogéologues autochtones a été une véritable gageure. Il a fallu mener de vastes consultations auprès de représentants d’organisations locales et internationales et réaliser des études pour identifier les difficultés rencontrées par les filles tout au long de leurs études, déterminer les entraves à l’achèvement de leurs études secondaires, trouver les moyens de lutter contre les stéréotypes qui les détournent de l’étude des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STEM) ou mettre en place un environnement de travail porteur, une fois qu’elles sont diplômées. L’initiative, qui entre dans sa troisième année, commence à porter ses fruits. Une table ronde a été organisée l’année dernière à Nouakchott, en Mauritanie. Un des thèmes abordés portait sur l’amélioration des possibilités de formation en hydrogéologie offertes aux femmes dans le Sahel, et plus particulièrement sur les inégalités d’accès à l’enseignement universitaire. J’ai par ailleurs examiné, avec un consultant local spécialisé dans ces questions, les obstacles et les options pour garantir aux femmes une égalité d’accès aux sources d’irrigation souterraines. Cliquez pour tweeter

Nouakchott Table Ronde: Meet Valérie Plagnes (in French)

En Afrique australe, j’ai aidé l’Institut de gestion des eaux souterraines de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC-GMI) à intégrer totalement la dimension de genre dans la préparation des projets. C’était une chance, SADC-GMI fait partie des institutions qui ont été les premières à reconnaître l’importance de la parité femmes-hommes et qui ont inscrit l’inclusion dans la gestion des eaux souterraines parmi leurs principes fondamentaux. Sur le plan du recrutement, par exemple, SADC-GMI s’est efforcé d’offrir les mêmes possibilités aux étudiantes et aux étudiants dans le cadre de son programme pour jeunes professionnels. Conscient du nombre peu élevé de femmes occupant des postes de direction aux échelons intermédiaires et supérieurs du secteur de l’eau, SADC-GMI a su adopter des stratégies mûrement réfléchies visant à inciter les femmes à participer à la gestion des eaux souterraines et à en tirer profit. Les États membres et d’autres parties prenantes ont été invités à désigner des femmes pour qu’elles participent aux formations proposées par SADC-GMI, et il a été mis au point une stratégie de prise en compte des questions liées à la parité femmes-hommes et à l’inclusion sociale. Le manuel des subventions subsidiaires de l’institut vise par ailleurs à garantir que chacun des projets financés par ces subventions facilite la participation des femmes.

Le soutien de CIWA à SADC-GMI s’inscrit dans le prolongement de l’engagement pris par ce dernier de promouvoir la parité femmes-hommes, en mettant l’accent sur la diversité dans les professions liées aux eaux souterraines, ce qui favorise la mise en place de cursus et de formations professionnelles adaptés pour les jeunes et les femmes. Ce projet entend lutter contre l’exclusion sociale en assurant un suivi de l’évolution de la part de participantes et de bénéficiaires directes de manière à garantir l’inclusion des plus pauvres et des plus vulnérables dans ses activités. Par ailleurs il intègre la dimension de genre dans ses activités de formation et de gestion des connaissances. Dans l’ensemble, CIWA a su maintenir l’élan généré lors de la première phase. Il est notamment prévu de renforcer la capacité de SADC-GMI et de ses parties prenantes à intégrer efficacement les principes de parité femmes-hommes et d’inclusion sociale dans ses projets. Les spécialistes de ces questions pourront aussi profiter de ce projet pour continuer à apprendre, puisque les leçons tirées de l’intégration de ces principes dans les initiatives de gestion des eaux souterraines seront documentées et diffusées.

Identifier les possibilités de renforcer la participation et les compétences en matière de décision et d’encadrement des femmes

Par ailleurs, le projet sur la contribution des eaux souterraines à la résilience dans la Corne de l’Afrique a été élaboré en coopération avec l’équipe chargée de la parité femmes-hommes et de l’implication des communautés du pôle mondial d’expertise en eau de la Banque mondiale. Ce croisement d’expériences m’a permis de tirer des enseignements de l’approche GTP (Gender Tag Process, processus permettant de déterminer si un projet présente un caractère sexospécifique), adoptée par la Banque mondiale pour ses projets de prêt qui joue un rôle déterminant dans la mise en œuvre de sa stratégie en matière de genre pour la période 2016-2023. À l’instar de l’initiative pour le Sahel, ce projet témoigne de l’attention particulière accordée à la dimension du genre en déterminant les trois principaux écarts qui touchent les femmes en tant qu’utilisatrices de l’eau et décisionnaires, tout en identifiant des actions concrètes à même de les éliminer. La qualité des interventions sera mesurée à l’aide d’indicateurs concrets et limités dans le temps.

Le premier écart concerne le rôle traditionnel des femmes puisqu’il s’agit de faire disparaître la lourde charge qui pèse sur les femmes et les filles en milieu rural dans la mesure où elles y sont les principales collectrices d’eau. Pour y parvenir, il est prévu d’impliquer les femmes dans la planification et la conception des infrastructures, tout en veillant à installer les infrastructures d’eau souterraine à proximité des établissements humains, afin que les femmes et les filles ne passent plus autant de temps à aller chercher de l’eau et soient moins exposées au risque de violence sexiste. Comme c’est le cas pour de nombreuses femmes en milieu rural en Afrique subsaharienne, le deuxième écart montre que les femmes sont fréquemment exclues des processus décisionnels au niveau local. Le projet prévoit donc de favoriser la participation des femmes aux processus décisionnels concernés, notamment en les formant à l’exercice du leadership et aux techniques de négociation, en encourageant l’organisation de réunions consacrées à la gestion des eaux souterraines, et en adaptant les horaires de ces réunions aux contraintes de temps des femmes. Étant donné la faible représentation de celles-ci à des postes techniques et de direction dans les institutions chargées de la gestion des eaux souterraines aux niveaux local, national et transfrontalier, le troisième écart donnera lieu à une évaluation de la composition du personnel des organismes de gestion des eaux souterraines, une formation pour sensibiliser le personnel à la problématique de genre, et une formation technique et à l’encadrement pour le personnel féminin de ces organismes. Les écarts identifiés pendant la préparation du projet ont permis de déterminer les mesures à prendre pour y remédier et les indicateurs de suivi correspondants.

Je suis très heureuse d’avoir pu travailler sur l’intégration de la parité femmes-hommes et de l’inclusion sociale dans divers projets et collaborer avec d’autres spécialistes de ces questions dans le contexte plus large de la Banque mondiale, y compris le pôle mondial d’expertise en eau. Bien que les informations sur la parité femmes-hommes dans le domaine des eaux transfrontalières soient encore assez restreintes, je pense que la collaboration engagée avec d’autres spécialistes de la Banque mondiale permet d’apporter une expertise technique plus pointue, tout en préparant des outils et des ressources qui, je l’espère, contribueront à enrichir le corpus de connaissances sur la parité femmes-hommes et la gestion des eaux transfrontalières.

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Ellen Hagerman, GESI Consultante, CIWA

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